mercredi 6 janvier 2016

Jouer à Madagascar

Une jolie vue à Antananarivo
J'écris cet article en réaction à celui-ci: http://gusandco.net/2013/08/08/la-carte-mondiale-des-editeurs-de-jeux-de-societe/ de Gus (oui, je sais, ça commence à dater…) En lisant les commentaires, je me suis rendue compte qu'effectivement, peu de gens savent comment ça se passe dans "les pays du Sud" pour tout ce qui est en rapport avec les jeux. Eh bien, je vais essayer d'y répondre par mon expérience personnelle pour terminer les on-dit et que vous sachiez de quoi il en retourne exactement.

Cet article est en fait un pretexte pour mettre mes photos de Mada en ligne
Tout d'abord, le contexte. Je suis malgache et j'ai grandi à Madagascar jusqu'à mes 18 ans. J'ai été élevée dans une famille qui n'était pas très aisée mais qui n'était pas non plus très pauvre. Nous faisions partie de la très très rare classe moyenne malgache, c'est-à-dire, pour reprendre un des commentaires de l'article de Gus, que mes parents ne se levaient pas chaque matin en se demandant ce qu'ils allaient faire à manger pour eux et leur famille, ils se levaient plutôt chaque matin en se demandant comment ils allaient réussir à répartir le peu d'argent qu'on avait entre les différentes dépenses de la maison. La nuance a l'air d'être faible, mais elle fait toute la différence.

Et moi, quand je me lève, voilà ce que je vois chaque matin depuis ma fenêtre à Mada
Et malgré notre pauvreté relative, du plus longtemps que je me souvienne, j'ai toujours joué. Je vais mettre à part les jouets (poupées, petites voitures, animaux en plastique, billes) et plutôt me centrer sur les jeux de société. Je jouais essentiellement aux cartes avec mes parents: ma mère m'a appris à jouer à la réussite (avec les cartes ordinaires) dès mes 5 ans (étant fille unique jusqu'à mes 9 ans, je jouais très souvent toute seule), j'ai appris à jouer au rami à 6 ans (ce qui peut expliquer pourquoi j'ai tout de suite croché au Mah-Jong et pourquoi j'ai des grandes mains parce que bon, tenir 13 cartes avec des mains minuscules c'était pas évident, je devais trouver des tactiques pour les poser, les regarder, les reposer), je savais jouer à la belote à 12 ans. Dans les jeux de plateaux, on avait un plateau du Jeu de l'Oie, un plateau des petits chevaux et un exemplaire de Rallye Belle Epoque avec lequel je ne me lassais jamais de jouer. On avait également un jeu de loto qu'on sortait souvent en famille (pas de cagnotte par contre, juste le plaisir de jouer). 

La seule photo du Rallye Belle Epoque que j'ai pu trouver, merci FH ^^ 
Ça ne fait pas beaucoup en soi mais pendant les vacances, on jouait presque tous les soirs, c'était notre petit moment de retrouvailles. Je me souviens surtout que mon père gagnait très souvent et que si j'étais captivée par le jeu, le comptage des points m'échappait complètement mais ça m'a toujours été égal. Un peu plus tard, une amie de ma tante est venue séjourner chez nous et nous a apporté un jeu de Ligretto qui m’a fait découvrir le jeu de rapidité et le jeu en simultané. Dans ses bagages, elle avait également Ziff Zoff qui m’a appris le principe du bluff et également l’importance d’essayer de deviner son adversaire et ses intentions. Finalement, j’étais assez gâtée au niveau jeux de société maintenant que j’y pense, je connaissais déjà pas mal de mécanismes mais sans vraiment mettre le doigt dessus.

Ziff Zoff, mes premières émotions de joueuse face au bluff (une notion assez peu connue à Mada)
Pour le Noël de mes 14 ans, j'ai demandé une boite de 320 jeux. Pourquoi? Je ne sais pas, peut-être que c'est mon destin d'avoir des tas de jeux (hahaha). Toujours est-il que cette boite m'a permis de découvrir des jeux de plateaux avec des mécanismes nouveaux (même si la plupart étaient quand même des jeux de parcours), la notion de difficulté croissante, des nouveaux jeux de cartes, des jeux d'extérieur également et j'ai passé des jours et des jours à en essayer un maximum; à chaque fois que j'avais des amis à la maison, je sortais ma boite et c'était parti pour des jeux de société endiablés. Ma passion pour les règles de jeux et l'explication des règles à autrui doit venir de là. J'ai même hésité à prendre la boite quand je suis partie en Suisse mais bon quand même, j'avais déjà assez d'affaires à emporter comme ça et il ne me semblait pas primordial de prendre les jeux avec. J'ai quand même pris le jeu de cartes qui y était intégré.

La fameuse boite des 320 jeux!!! En réalité, il y avait plutôt 320 règles de jeux que réellement 320 jeux mais ne chipotons pas!
Pour parler des habitants de l'île, les malgaches jouent beaucoup. Les plus jeunes jouent essentiellement aux cartes :je ne compte plus le nombre de groupes de jeunes assis sur les murets (ou les murettes en fribourgeois) en train de jouer à la belote (souvent avec bière et clope et parfois avec des mises). Les plus vieux sont souvent adeptes du jeu traditionnel de l'île, le fanorona, une sorte d'échecs à la malgache dont le plateau peut se dessiner par terre et les pions improvisés (je me souviens d'une partie de fanorona à un mariage où on avait dessiné le plateau au stylo sur les nappes (en papier hein) et où on avait utilisé les coquilles de pistaches pour faire les pions (côté vide dessus ou dessous respectivement pour chaque joueur)). Ce jeu est tellement prisé que la municipalité a installé des plateaux à divers endroits de la ville et que des attroupements y ont souvent lieu pour observer deux joueurs qui s'affrontent. Des fois, les paris sont lancés sur qui va gagner (avec de l'argent, ça rigole pas là-bas). Comme ici, le loto est également un jeu très populaire sur l'île et pas seulement pour les personnes âgées. Souvent, lors des manifestations, une partie de loto est organisée pour divertir l'assistance.

Une partie de Fanorona en cours, sur les emplacements installés par la municipalité
Un autre jeu que j'aimais faire quand j'étais petite c'était aussi le "manao tantara". Ce jeu, souvent joué par des jeunes filles, consiste à prendre des cailloux et à faire une histoire avec ces derniers. On tapait un caillou-personnage sur un autre pour simuler la discussion. J'avais mes cailloux dans un petit sac et je les ressortais pour faire mes histoires. Toute seule ou avec mes amis, c'était tout aussi amusant d'écouter les histoires des autres que de créer ses propres scénarios. Un bon petit jeu d'impro à la Comedia ou The Big Idea.

Celui-ci était un de mes préférés de ma fameuse boite de 320 jeux avec des pictogrammes illustrant les règles directement sur le plateau!
Evidemment, tout ceci date d'il y a plusieurs années maintenant (sigh). J'imagine que les jeunes actuels sont plus portés sur les jeux sur smartphone comme un peu partout ailleurs. Le fanorona par contre, ça reste c'est un jeu traditionnel et beaucoup de gens le connaissent et ont plaisir à y jouer, quel que soit leur âge, la facilité de mise en place du plateau et des pions aidant.

Une petite partie de Fanorona sur la route pour aller au travail :D 
Et c'est donc là que j'arrive avec les éditeurs. Pourquoi on ne distribue pas beaucoup de jeux à Madagascar? Et pourquoi il n'y a pas d'éditeurs? Eh bien, même si ça n'a rien à voir, c'est comme le Mc Donald's. Il n'y en a pas chez moi. Il y en a bien qui ont essayé de vendre des hamburgers et tout ça mais en fait ça ne marche pas. Parce que le malgache aime ce qu'il a et qu'il s’accroche à ses traditions. Si vous lui parlez d'un jeu, il sortira son paquet de cartes ou son baton pour tracer un plateau de fanorona dans le sable (oui, un peu cliché le coup du baton mais vous comprenez). Ce qui n'empêche qu'il y a des rayons jeux dans les supermarchés (supermarchés essentiellement fréquentés par des gens ayant quand même les moyens, la toute première chose que j'ai acheté dans un supermarché c'était un yaourt nature et je devais avoir 13 ans…) souvent remplis par des éditeurs comme les Parker Brothers, Mattel, Ravensburger tels qu'on trouve un peu dans les supermarchés chez nous aussi au final. La filière du jeu ne perce pas, à cause du prix, c'est sûr, que ne peuvent se permettre une bonne partie de la population mais aussi parce qu'il faut avoir envie de voir autre chose et ça c'est pas toujours évident.


Mon père fait du basket avec un ballon de foot (mais qu'est-ce que ça fait dans cet article?)
Avant que je ne rentre et n’amène des jeux dans mes bagages, mes parents ont acheté à mes frères et à ma cousine un jeu de Monopoly mais les règles étaient trop obscures pour ces derniers (ce que je peux comprendre). Le hic des nouveaux jeux c'est qu'il faut quelqu'un qui aie la patience de lire et d'apprendre les règles et qui explique ensuite aux autres (ce que je fais globalement et ce pourquoi mes soirées jeux marchent plutôt bien). Si les règles font plus de 3 pages, surtout si elles sont en français (ben oui, la langue là-bas, c'est le malgache) il y en aura toujours un qui va lancer "Et si on faisait plutôt une belote?" et les autres d'approuver rapidement.


Planquez les cartes les gars, y a des gens qui nous prennent en photo!
Il n'y a pas d'éditeur de jeux à Mada parce que pour éditer un jeu, il faut avoir l'idée d'un jeu et l'envie de changer les choses. Et les moyens. Parce que mine de rien, il faut produire les plateaux, les pions, la boite, les cartes, les distribuer et ensuite les vendre. Et même pour un jeu qui nécessiterait peu d'investissements (je pense à un jeu type Love Letter ou 6 qui prend), les prix de production grimperaient trop vite au plafond surtout si on recherche la qualité pour un jeu qu'on n'est finalement pas si sûr de vendre à un public qui n'est clairement pas à la recherche de nouveautés de ce côté. Ce qui pourrait marcher, ce serait qu'une maison d'édition à l'étranger exporte à Mada mais c'est tellement risqué que je pense que peu de gens voudraient se lancer. Les très gros éditeurs peuvent se le permettre parce que leurs jeux, classiques, plairont probablement à quelques privilégiés qui se doivent d'avoir un Monopoly ou un Scrabble pour leurs invités. Les petits éditeurs risquent d'y perdre, en comptant l'envoi, la vente, la gestion. Les dépenses dépasseraient largement les bénéfices possibles. Déjà que certains éditeurs trouvent que la Suisse n’est pas assez rentable, je n’imagine même pas ce qu’ils peuvent penser de Madagascar.


Un jeu de saut en parachute avec plus ou moins de prise de risque selon l'altitude
Enfin voilà, c'est ma petite explication personnelle, qui je l'espère vous a fait entrapercevoir comment les malgaches sont face au jeu. Personnellement, si j’étais restée à Mada, je ne connaitrais certainement pas tous les jeux que je connais aujourd’hui. Ceci étant, je pense que le côté financier aurait été mon frein principal et non le manque de compréhension au niveau des règles des jeux. 


Ouaiiis! On a plein de jeux!